Introduction à l'intrusion physique Red Team

AlessioLe 24 juin 2025

Introduction à l'intrusion physique RED TEAM

I/ Comprendre l'intrusion physique

L'intrusion physique consiste à déjouer les dispositifs de sécurité matériels mis en place pour protéger les infrastructures, les ressources et les individus d'une organisation. Dans le cadre des opérations de cybersécurité offensive et plus précisément de Red Teaming cela englobe toutes les techniques permettant un accès physique à des zones sensibles, souvent pour simuler une compromission, exfiltrer des données ou installer du matériel malveillant.

Contrairement aux attaques numériques, qui sont menées à distance via des vecteurs comme le phishing, les vulnérabilités logicielles ou les malwares, l'intrusion physique nécessite une présence sur place. Elle implique une interaction directe avec l'environnement physique, les systèmes de contrôle d'accès et parfois même avec les employés. Cela peut aller d'un simple "tailgating" (suivre discrètement un employé qui utilise son badge) à une intrusion avancée nécessitant le crochetage de serrure ou la pose d'un dispositif réseau dans une salle serveur.

🎯 Intrusion opportuniste vs intrusion ciblée

On distingue généralement deux types principaux d'intrusions physiques :

  • L'intrusion opportuniste, qui exploite des failles visibles et facilement accessibles : une porte laissée entrouverte, un badge oublié à portée de main, un manque de vigilance humaine ou technique.
  • L'intrusion ciblée, quant à elle, est beaucoup plus méthodique et repose sur une phase de reconnaissance préalable : observation des flux de personnel, identification des routines, repérage des accès secondaires, collecte d'informations via les réseaux sociaux ou des outils d'OSINT.

L'objectif est de simuler un adversaire réaliste : déterminé, préparé, doté de ressources et capable de mener une attaque discrète mais efficace.

Dans ce contexte, l'intrusion physique devient un véritable levier stratégique pour évaluer la posture de sécurité globale d'une organisation. Il ne s'agit plus simplement de détecter une vulnérabilité théorique, mais de montrer comment celle-ci peut être exploitée dans un scénario crédible, par un attaquant aux intentions malveillantes.

II/ Enjeux et objectifs des tests d'intrusion physique

🚨 Les enjeux des tests d'intrusion physique

Les tests d’intrusion physique visent principalement à vérifier la solidité réelle d’une entreprise contre des tentatives d’accès non autorisé à ses locaux ou ses données sensibles.

Ces tests permettent de répondre à des questions essentielles :

  • Les mesures de sécurité physique sont-elles vraiment efficaces ?
  • Le personnel de sécurité, les employés ou les processus internes peuvent-ils détecter et réagir face à des comportements suspects ?
  • Un accès physique pourrait-il entraîner une infiltration plus étendue au niveau du réseau interne, des serveurs, ou des ordinateurs ?

Une intrusion physique peut exposer une organisation à des accès non autorisés à des informations sensibles, compromettant directement la confidentialité et l’intégrité des données. Cette menace devient encore plus critique lorsque l'attaque est ciblée car elle s’inscrit souvent dans une stratégie mêlant vecteurs physiques et numériques. La sécurisation des accès physiques constitue ainsi un levier essentiel pour protéger les actifs critiques et, notamment garantir la conformité avec des référentiels comme le RGPD ou l’ISO 27001.

🎯 Les objectifs des tests d'intrusion

Dans cette perspective, les objectifs sont nombreux et se complètent mutuellement :

a. Évaluer la force des systèmes d'accès

Qu'il s'agisse de badges RFID, de serrures traditionnelles, de portiques biométriques ou de caméras de surveillance, tous ces dispositifs peuvent être éprouvés pour vérifier leur résistance aux techniques de contournement.

b. Tester la vigilance du personnel

Les tests sollicitent le facteur humain : comment les employés réagissent-ils à une présence inattendue ? À quel point sont-ils sensibilisés ? Tolèrent-ils la pratique du tailgating ? Ouvrent-ils la porte à un inconnu habillé en technicien ?

c. Reproduire des scénarios d’attaque réalistes

Un test physique bien réalisé permet d'imiter fidèlement les tactiques, techniques et méthodes employées par de réels attaquants, comme le ferait un espion industriel.

d. Découvrir des voies d’accès imprévues

Ces tests mettent souvent en lumière des chemins d’accès insoupçonnés : une sortie de secours mal sécurisée, un badge passe-partout qui ouvre trop de portes, un placard technique accessible depuis l’extérieur…

e. Sensibiliser et améliorer les pratiques internes

Enfin, un objectif majeur mais souvent négligé est de stimuler une prise de conscience au sein de l’organisation. Une intrusion réussie, même simulée, a un impact significatif. Elle pousse à réexaminer les procédures, à former les employés, et à réviser les règles de sécurité avec un regard plus critique.

III/ Méthodologies et approches

Un test d’intrusion physique ne s’improvise pas. Il repose sur une approche méthodique en plusieurs étapes, visant à recréer un scénario réaliste d’intrusion dans un cadre défini avec le client.

🔍 Phase de ciblage et reconnaissance

Avant l’intervention sur le terrain, une étape de reconnaissance approfondie est réalisée pour recueillir un maximum d’informations sur le site à tester. L’objectif est de dresser une représentation mentale de l’environnement, en identifiant les faiblesses exploitables.

a. Identification du site

  • Localisation, nom de l’entreprise, structure légale.
  • Classification de l’environnement : privé (siège social, centre R&D, entrepôt) ou public (magasin, agence, site accessible au public).

b. OSINT géographique

  • Google Maps, Street View, Apple Plans : analyse de l’architecture, points d’accès, clôtures, sorties de secours, etc.
  • Plans cadastraux : consultation des structures annexes ou voisines.
  • Identification des accès visibles : entrées principales, zones de livraison, parkings du personnel, circulation des visiteurs.
  • Identification des caméras de sécurité visibles et d’autres dispositifs dissuasifs.

c. OSINT réseaux sociaux et web

  • Recherche sur LinkedIn pour profiler les employés (noms, fonctions, badges visibles sur les photos).
  • Analyse de photos internes sur Instagram ou Facebook.
  • Lecture des avis Google, publications internes ou photos publiées par des visiteurs.
  • Pages d'entreprise (blog, communiqués) pour détecter les périodes de forte affluence, déménagements ou événements particuliers.

d. Observation comportementale

  • Étude des flux horaires (horaires d’ouverture, pauses déjeuner, rotation du personnel).
  • Comportement humain : vigilance, accueil des visiteurs, niveau de méfiance perçu.
  • Identification de rituels ou routines (livraisons récurrentes, passages techniques, etc.).

🧰 Préparation opérationnelle

Sur la base des informations collectées, l’équipe prépare l’intervention en définissant précisément le cadre, le scénario et les moyens à mobiliser.

a. Construction du scénario

  • Intrusion réaliste ou opportuniste, par exemple en se faisant passer pour :
  • Un technicien venu réparer un équipement.
  • Un livreur avec un colis urgent.
  • Un stagiaire ou nouvel employé perdu.
  • Un prestataire de service (ménage, IT, sécurité).

b. Plan logistique

  • Matériel technique : badges contrefaits, outil RFID, clé USB piégée, caméra miniature.
  • Déguisements / tenues professionnelles : gilets de sécurité, tenues de chantier, badges nominatifs.
  • Supports physiques : faux bons de commande, faux mails d’intervention imprimés.

c. Règles d’engagement

  • Limites fixées avec le client (zones interdites, données sensibles à ne pas manipuler).
  • Interdiction d’intimidation, de destruction ou d’interaction non autorisée.
  • Procédure d’arrêt d’urgence ou mot de passe de désescalade si nécessaire.

🚪 Exécution de l'intrusion

Le test est alors réalisé en conditions réelles, généralement sans que les équipes de sécurité internes ne soient informées.

a. Objectifs

Accéder à une ou plusieurs zones critiques définies avec le client : salle serveur, bureau de direction, poste utilisateur.

b. Documentation

Chaque action est rigoureusement consignée :

  • Point d’entrée utilisé, méthode d’accès (crochetage, tailgating, badge RFID…).
  • Réactions du personnel (indifférence, suspicion, intervention).
  • Objets ou informations capturés (captures d’écran, photos, dispositifs connectés).

IV/ Techniques d'intrusion physique couramment utilisées

Les tests d'intrusion physique reposent sur une variété de tactiques inspirées du monde du piratage informatique, de la sécurité privée, et parfois même de l'espionnage. Ces méthodes sont choisies en fonction du niveau de sécurité de l'organisation ciblée, du scénario d'attaque envisagé, et des zones à infiltrer.

Certaines techniques sont subtiles et discrètes, tandis que d'autres impliquent des interactions sociales ou des approches physiques pour contourner la sécurité. Voici les principales méthodes employées lors des missions de Red Team physique.

📡 RF Signal Analysis

L’étude des signaux RF permet de repérer les échanges discrets entre appareils sans fil, comme les cartes RFID, les systèmes d’alarme ou les appareils IoT. En interceptant ces signaux, on peut reconnaître les protocoles en vigueur, enregistrer une transmission valide, puis la rejouer pour simuler un accès légitime. Cette approche est particulièrement efficace lorsque les systèmes ne disposent d'aucune authentification supplémentaire. Elle se réalise à distance, sans besoin de toucher les dispositifs.

🗝️ Lockpicking (ou crochetage)

Le lockpicking, appelé aussi crochetage, (NLY) est une technique traditionnelle dans le domaine de l’accès physique non autorisé. Il rend possible l'ouverture discrète d’une serrure sans la détériorer, qu’il s’agisse de portes, de meubles sécurisés. Selon le mécanisme de verrouillage, l’individu peut utiliser des crochets classiques, des clés à percussion ou des outils fins.

🪪 Clonage de badge (badge cloning)

Le clonage d’un badge consiste à reproduire son signal pour duper un système d’accès. Avec un lecteur RFID discret, il est envisageable de copier les données contenues dans un badge simplement en étant près du porteur, par exemple dans un ascenseur. Le clone ainsi obtenu agit comme l’original et permet de passer sans problème des contrôles d’accès. Cette technique est particulièrement efficace si l’entreprise ne surveille pas les entrées ou n’intègre pas les badges à une identification visuelle.

🏃‍♂️ Tailgating / Piggybacking

Certaines tactiques ne demandent aucun équipement : le tailgating consiste à se glisser derrière un employé qui ouvre une porte sécurisée, profitant de sa courtoisie ou d'un moment d’inattention. Cette méthode exploite l’ingénierie sociale et la nature humaine : rares sont ceux qui osent interroger une personne qui semble à sa place. Dans une version plus directe, le piggybacking implique qu’un intrus demande à un employé de lui "tenir la porte", prétextant un oubli ou une urgence.

👁️‍🗨️ Observation furtve (Shoulder Surfing)

L’espionnage visuel consiste à observer un utilisateur saisir un code PIN, un mot de passe, ou manipuler un système de contrôle d’accès. Cette astuce permet de collecter des informations d’identification ou d’observer le procédé d’utilisation d’un badge. Elle est d'autant plus performante si elle est renforcée par des lunettes équipées de caméras ou des enregistreurs camouflés.

🎭 Ingénierie sociale (Social Engineering)

L’ingénierie sociale est l’une des techniques les plus redoutables des intrusions physiques. Elle repose sur l’aptitude de l’attaquant à se faire passer pour une personne autorisée : technicien, stagiaire, livreur ou même dirigeant. Grâce à un rôle bien joué, parfois accompagné de faux papiers, d’un badge d’apparat ou d’une tenue appropriée, l’intrus profite de la confiance spontanée suscitée par l’apparence professionnelle. Cette méthode permet souvent d’accéder à des zones sensibles sans employer de force.

🗑️ Fouille de poubelle (Dumpster Diving)

La fouille de poubelles reste une méthode simple mais très efficace. En inspectant les déchets d’une entreprise, on découvre souvent des documents sensibles, des notes avec des mots de passe, ou même des badges jetés accidentellement. Cette approche met en lumière bon nombre de négligences internes, telles que l'absence de destruction sécurisée des documents confidentiels ou un tri inadéquat des déchets de bureau.

💾 Attaque par clé USB (USB Drop Attack)

L’attaque par clé USB consiste à déposer délibérément un périphérique de stockage infecté à un endroit accessible aux employés : parking, salle de repos, ascenseur. Si un collaborateur le connecte à son ordinateur, la clé peut immédiatement exécuter un code malveillant, établir une connexion externe ou extraire des informations. Cette méthode exploite à la fois la curiosité humaine et le manque de politiques informatiques sécuritaires rigoureuses.

🎙️ Imitation vocale / Deepfake vocal

Grâce aux avancées de l’intelligence artificielle, il est désormais possible d'imiter la voix d’un dirigeant ou d’un employé à partir d’enregistrements publics. Une voix synthétique peut servir à contacter un service interne, valider une action, ou demander l’ouverture d’un accès sécurisé. Combinée à une intrusion physique ou une attaque sociale, cette imitation rend l'ensemble de l'opération extrêmement crédible et difficile à contrecarrer.

V/ Intégration dans les opérations Red Team

L'intrusion physique va bien au-delà d'une simple violation de frontières ou d'un rapide test de sécurité. Elle est désormais un élément stratégique central des opérations Red Team, qui ont pour objectif de simuler des attaques réalistes, organisées et diversifiées contre une organisation. En intégrant ce mode opératoire dans leurs scénarios, les équipes Red Team cherchent à exposer l'entreprise à des menaces similaires à celles que pourraient lancer des groupes hostiles déterminés, mêlant aspects physiques et numériques.

🧩 Complémentarité avec les attaques numériques

Avec une approche globale de simulation, les Red Teams ne se limitent plus à exploiter des failles dans les logiciels ou à lancer des attaques sur les réseaux. L'accès physique devient un outil crucial pour déclencher ou intensifier une attaque numérique. Par exemple, un intrus peut se faire passer pour un technicien, pénétrer dans un bâtiment, connecter un équipement malveillant à un réseau interne, dérober un badge, ou encore accéder à une salle de serveurs normalement sécurisée.

L'intrusion physique permet de contourner les protections logiques en s'attaquant à l'environnement matériel, aux comportements humains, ou aux faiblesses organisationnelles. Elle offre également la possibilité d'introduire des appareils espions, de mener des attaques par périphériques USB, ou d'accéder à des données sensibles sur des postes de travail non surveillés. Dans ce contexte, elle devient un moyen de transition : l'accès physique est utilisé pour pénétrer le réseau numérique, tester la résilience humaine et technique, et évaluer la coordination entre la sécurité physique et informatique.

🏛️ Un cadre réglementaire structurant : DORA et TIBER-FR

Dans un contexte où les cybermenaces deviennent de plus en plus complexes et ciblées, les régulateurs européens ont mis en place des cadres solides pour améliorer la résilience opérationnelle des institutions essentielles, notamment dans le domaine financier. Aujourd'hui, deux référentiels réglementaires se démarquent : le règlement DORA et le cadre TIBER-FR.

Le règlement DORA (pour Digital Operational Resilience Act), adopté par l'Union européenne et entré en application en 2023, exige de tous les acteurs du secteur financier tels que les banques, les compagnies d'assurance, les fournisseurs de services cloud et les fintechs qu'ils mettent en œuvre des mesures concrètes pour se protéger contre les risques liés aux technologies de l'information et de la communication. Ce texte stipule notamment l'obligation de signaler rapidement les incidents majeurs, de mettre en place une gestion efficace des risques numériques et de vérifier régulièrement la robustesse de leurs systèmes de défense. Ces exercices de simulation peuvent inclure des opérations avancées de Red Teaming, dans le but de confronter les organisations à des scénarios réalistes et significatifs.

Le framework TIBER-EU a été spécialement conçu pour encadrer ces tests. Développé grâce à l'impulsion de la Banque centrale européenne, puis adapté pour la France sous le nom TIBER-FR, ce cadre méthodologique vise à harmoniser les pratiques de Red Teaming à travers toute l'Union européenne. Il établit un ensemble de règles, de rôles et d'étapes pour garantir que les tests soient réalisés de façon éthique, sécurisée, et sans perturber l'activité des entités ciblées.

L'une des spécificités du cadre TIBER-FR est qu'il intègre explicitement la possibilité de mener des scénarios d'intrusion physique, sous réserve d'une validation préalable. Ces intrusions peuvent prendre la forme d'opérations d'ingénierie sociale, visant par exemple à accéder à des locaux confidentiels pour installer un dispositif ou voler des informations sensibles. Cette approche, décrite dans le guide TIBER-FR à la page 18, traduit une évolution fondamentale : la reconnaissance institutionnelle du risque physique comme un vecteur d'attaque critique, au même titre que les menaces cyber classiques.

En pratique, ces tests ne peuvent être réalisés que dans un cadre rigoureusement défini : ils doivent être planifiés, encadrés par un scénario approuvé, réalisés par des prestataires qualifiés, et assortis de garanties évitant tout dommage ou interruption des activités. Cette approche "pilotée par la menace" répond aux exigences de DORA en matière de simulation d'attaques complexes, tout en maintenant un niveau élevé de contrôle.

Ainsi, la combinaison de DORA et TIBER-FR constitue aujourd'hui une base réglementaire cohérente pour intégrer l'intrusion physique dans les stratégies de Red Team. Elle inscrit cette pratique dans une démarche de résilience globale, alignée sur les attentes des autorités de supervision européennes, et adaptée aux réalités opérationnelles des entreprises critiques.

Conclusion : pourquoi le test d'intrusion physique est essentiel ?

Inclure l'intrusion physique dans une mission Red Team permet d'obtenir une vue d'ensemble concrète de la posture de sécurité d'une organisation. De nombreux incidents numériques commencent par un accès physique non autorisé, souvent facilité par un badge laissé sans surveillance, un digicode deviné ou un manque de vigilance humaine. Pourtant, les dispositifs physiques (contrôle d'accès, surveillance, procédures) sont encore aujourd'hui audités moins fréquemment que les systèmes informatiques.

Évaluer ces points faibles dans un scénario Red Team permet de vérifier la cohérence entre la sécurité informatique, physique et humaine. Cela favorise également la collaboration entre les équipes, aide à repérer les zones négligées et à mieux prévoir les menaces hybrides qui combinent ingénierie sociale, pénétration physique et attaque cyber.

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